GEORGE FORREST COLLECTIONNEUR

GEORGE FORREST COLLECTIONNEUR

Homme d’affaires belge, George Forrest a successivement quitté ses activités en République démocratique du Congo dans les domaines bancaire et minier pour se concentrer sur ceux de la construction et de l’énergie. Un parcours qui a assis sa notoriété d’entrepreneur – il est à la tête de la plus grande entreprise du pays – mais qui cache un autre aspect de sa personnalité : le collectionneur.

 

Guillaume de Sardes : À l’époque où vous avez commencé à collectionner de l’art africain, celui-ci n’était pas autant à la mode qu’aujourd’hui. Qu’est-ce qui vous y a poussé ?

George Forrest : Ce sont des missionnaires belges qui m’ont fait découvrir les statuettes et les masques africains. Notamment le Père Émile que j’ai rencontré au Congo. Il avait fondé à Lubumbashi un institut pour aider les jeunes qui y apprenaient la menuiserie. C’est lui qui m’a conseillé d’acheter la première pièce de ma collection. Il s’agissait d’une statuette africaine dont la vision était effrayante pour les Congolais. À cette époque, la charge magique de ces objets était encore perçue.

 

GS : Et ensuite ?

GF : Je me suis mis à acheter de plus en plus régulièrement. Je fais partie de ces collectionneurs qui achètent sur un coup de cœur et ne revendent rien.

 

GS : Mais vous avez ouvert une galerie à Lubumbashi.

GF : Oui, c’était une suite logique. On commence par collectionner pour soi puis on a envie de partager ce qu’on aime avec les autres. La galerie fait la promotion des artistes contemporains congolais qui demeurent mal connus. Je ne sais pas pourquoi, mais il n’y a pas eu d’engouement pour eux, comme il y en a eu par exemple autour de l’Ivoirien Ouattara Watts. On pourrait bien citer le photographe Sammy Baloji, mais c’est un cas isolé.

 

GS : Comment l’expliquer ?

GF : Pour que les artistes soient visibles il faut d’abord qu’ils soient soutenus par les collectionneurs de leur pays ; or les Congolais eux-mêmes n’achètent pas leur art… Grâce à des jeunes collectionneurs les choses commencent à changer, mais ce n’est qu’un début. Jusqu’à récemment il n’y avait pas de musée aux normes internationales au Congo. Là encore, les choses évoluent, puisque la Corée du Sud a offert un musée qui accueille les collections de Mobutu Sese Seko, l’ancien président de la République démocratique du Congo. Mais il faut maintenant le faire connaître à travers une programmation ambitieuse.

 

GS : Maintenant que ce musée existe, pensez-vous que des œuvres devraient être restituées au Congo ?

GF : C’est une question difficile, car toute restitution me semble difficile dans des pays où la situation est instable. Pensez qu’en Côte d’Ivoire, par exemple, les plus belles pièces du Musée National ont été pillées en 2010 au moment des graves troubles qui ont suivi l’élection présidentielle. Aujourd’hui, l’Afrique se retrouve dans la même situation que dans les années 60 avec des coups d’État en pagaille ! Restituer des œuvres c’est s’exposer à les voir vite disparaître… Sur le fond, il faut aussi tenir compte du fait que si ces œuvres sont encore visibles aujourd’hui, c’est parce que des hommes dans la première moitié du XXe siècle s’y sont intéressés, les ont appréciées et les ont jugées dignes d’être conservées dans les musées occidentaux. C’est donc une contre-vérité de les présenter comme des pillards. La plupart étaient des éthnologues qui ont consacré leur vie à étudier certaines populations. Il faut faire attention aux anachronismes.

 

GS : Quelle solution préconiseriez-vous ?

GF : Je serais plutôt favorable à des dépôts de long terme quand la situation le permet.

 

GS : Que pensez-vous de l’art africain contemporain, même s’il est difficile de généraliser ?

GF : Il y a une constante que je trouve intéressante. C’est que les artistes africains se nourrissent tous de leur propre culture. Peut-être que certains d’entre eux sont influencés par les artistes afro-américains, mais cela reste marginal. Un exemple de cela est qu’ils font peu de photographie et, au contraire, beaucoup de sculpture. Je constate néanmoins que les influences sont essentiellement formelles. La culture sous-jacente, la fonction magique des masques ou des statuettes, a disparu.

 

GS : Nous avons parlé d’art africain, car dans ce domaine votre collection est particulièrement importante. Mais collectionnez-vous aussi des artistes occidentaux ?

GF : Oui, que j’achète selon le même principe de plaisir. J’ai ainsi des œuvres de Warhol, Bacon, Frank Stella ou Anish Kapoor.

Guillaume de Sardes

A propos de l'auteur

Guillaume de Sardes est écrivain, photographe et vidéaste. Il dirige la rédaction de Prussian Blue.