ROBERTO CUOGHI : EXPÉRIENCES RADICALES
TEXTE GUILLAUME DE SARDES
PHOTOGRAPHIE ANNIK WETTER
Le travail de l’artiste italien Roberto Cuoghi, que vient de présenter dans toute son ampleur Andrea Bellini au Centre d’art contemporain de Genève, relève d’une mise en danger volontaire, de soi assurément, et peut-être aussi du spectateur. Il n’est pas indifférent que l’une de ses premières opérations ait consisté à modifier, au moyen de filtres, son propre regard, sa propre perception du réel : le monde halluciné de Cuoghi n’est ainsi pas seulement un fruit de son imaginaire, mais d’abord de sa conscience modifiée. Son corps aussi subit les effets d’expérimentations sans retour : alourdi, amoindri, il porte témoignage de l’élection de soi-même comme matériau.
La passion de Cuohi pour le faire l’a conduit à porter aux matériaux, de manière générale, un intérêt obstiné. Il suit en particulier les processus de décomposition, que ce soit sous l’action de la chaleur, de la putréfaction, du contact chimique… Il fait ainsi subir de véritables épreuves aux objets qu’il travaille, observant leurs transformations avec curiosité et en faisant le moteur de sa démarche créative. Son goût immodéré de l’expérimentation le porte à faire usage de substances pauvres, liées à la nourriture ou à la vie quotidienne, qui battent en brèche toute conception « noble » d’un art séparé.
Exposer Cuoghi, c’est ainsi mettre en scène le chaos, en écho à la dimension apocalyptique attribuée à des civilisations très éloignées dans le temps, comme le monde assyrien, qui semble fasciner l’artiste (on retrouvera chez lui un démon Pazuzu moins amusant que celui de Tardi…). Avec une ironie cinglante, Cuoghi représente des figures du monde de l’art couvertes de bleus, le nez cassé : autant dire qu’il n’entend pas « en être ». Tout comme il défait la gentille frisure des petits marquis, il entreprend de célébrer une sorte d’apothéose du vil, voire du maladif. L’art n’est pas pour lui la plus noble émanation de l’être, il en est bien plutôt une excroissance, une tumeur. Mais « la perle est la tumeur du coquillage »…
Andrea Bellini (dir.), Roberto Cuoghi : perla pollina, 1996-2016, Genève, 2017.