Mathilde Biron, Photographier comme on vit

Pourquoi photographier aujourd’hui ? Quelle est la raison de ce quasi besoin social ? Pourquoi Mathilde Biron utilise-t-elle encore ses boitiers alors que 95 millions d’images et de vidéos sont postées chaque jour sur instagram ? C’est justement en réponse à ce flot diluvien de pixels que la jeune photographe met son œil derrière la visée et compose ses photos. Elle ne cherche pas à épater la galerie en fixant le reflet numérisé des palaces émiratis au décor de carton-pâte, des corps lisses et sculptés par photoshop ou des paysages instagrammables…
Mathilde Biron est une photographe du réel et elle l’a prouvé avec deux portfolios (Ne sois pas vulgaire, 2018 et Si ton père te voyait, 2020 aux presses littéraires) et plusieurs expositions. Elle raconte son réel, c.-à-d., celui d’une jeune femme de 27 ans, parisienne et vivante. Le flou y a toute sa place comme celui des fêtes s’étirant jusqu’au matin, des lieux à la lumière rare qui donne à la chair une sensualité palpable derrière l’image. Les corps sont jeunes mais pas idéalisés. La peau n’est pas parfaite, les cheveux sont en bataille, le maquillage coule un peu, les aisselles sont velues, peu importe car ils sont tellement réels.
Dans la série intime in bed with, toute la véracité de la sexualité apparait dans l’imparfaite tendresse de couples qui ne cherchent pas une mise en scène à la youporn. C’est aussi pour cela que Mathilde est attachée à la pellicule et au polaroid. Il ne s’agit pas d’une lubie artistique dans un esprit canal Saint Martin. Medium is message écrivait le théoricien du langage canadien Marshall McLuhan. Le choix de l’argentique a une valeur forte dans cette création : il fixe le réel unique et non reproductible dans sa spontanéité sur un support matériel et chimique. Le numérique a un tort majeur face à cette démarche : le résultat est visible tout de suite et par conséquent, on s’attache plus à voir ce qui a été fait plutôt que de se consacrer à ce qui va advenir. Même quand elle décide d’un shooting avec une personne ou simplement elle-même en autoportrait, l’improvisation et le naturel sont le moteur de cette création. Et c’est en cela que la parisienne de 27 ans s’inscrit dans la lignée de Tulsa de la jeunesse de Larry Clark ou plus récemment Ryan McGinley., les modèles de Mathilde et elle-même semblent jouer à se déguiser comme on le faisait comme des enfants sauvages lors des longs dimanches pluvieux pour tromper l’ennui. On marche sur les meubles tels des chats méprisants et maîtres des lieux. Les bibelots kitchs s’allient aux tenues surannées qui faisaient l’élégance des femmes d’un autre temps. Un drap tendu pour faire un fond studio qui devient à son tour un accessoire à part entière. Un grand voile de tulle un escalier, cela suffit à Mathilde avec la modèle Mufin pour créer une série puissance et graphique en noir et blanc où se mêle sensualité, esthétisme des courbes et des lignes et perte des repères spatiaux.
Cependant rien n’est brouillon, rien n’est approximatif. Son œil est juste et sa sélection implacable. Dans ce réel « bironien », on peut voir aussi que les frontières du genre et de ses expressions, de sexualité dans sa diversité s’effacent pour mettre sous nos yeux un grand tout de liberté et de fluidité apaisante. Les garçons graciles portent des résilles, les filles aux regards d’acier s’assoient en mimant un man spreading… Des couples s’enlacent sans s’exhiber dans une étreinte pourtant follement érotique et une séance de shibari ressemble à un sage cocooning dominical.
C’est en cela que la photographie de Mathilde Biron possède une force réelle : par son choix de l’argentique, par sa volonté de ne rien gommer, par sa jeunesse et son exubérance sous laquelle point les angoisses de cette génération qui semble vouloir faire la fêtes alors que le précipice se rapproche… Il y a dans ces photos l’écho de ce qu’est vraiment cet art : une esthétique pourvu d’un sens, un miroir déformant et joyeux de notre monde qu’il faut capter dans son éphémère.
Si vous souhaitez vous plonger davantage dans l’œuvre de Mathilde Biron, son nouveau livre est disponible en pré-commande.