RENCONTRE AVEC DIMA KARAM

RENCONTRE AVEC DIMA KARAM

ENTRETIEN LOUISE BACQUET

Dima Karam est une jeune photographe libanaise qui s’intéresse aux paysages des villes méditerranéennes. Elle a contribué comme reporter au journal quotidien libanais The Daily Star, et a reçu plusieurs prix de photographie. En 2010, elle remporte la troisième place du concours organisé par le Centre de Coopération pour la Méditerranée de l’UICN; en 2011 elle est également récompensée lors de concours régionaux (Hamra  et Ashrafieh). Chercheuse en santé publique, elle vit à Beyrouth.

Portrait

Depuis combien de temps travaillez-vous comme photographe ? Où vous situez-vous dans le paysage de la photographie contemporaine ?

J’ai commencé à photographier assez jeune; je n’avais pas encore suivi de cours. Puis une de mes images en noir et blanc représentant un petit port de la ville fut récompensée par une mention, j’ai alors décidé de me consacrer davantage à la pratique photographique. Je photographiais constamment les vieilles maisons de Beyrouth et leurs arcades. Ayant grandi en temps de guerre, j’ai toujours considéré que le médium photographique répondait idéalement à mon désir d’immortaliser l’éphémère : Beyrouth à ce moment-là était un peu laissée à l’abandon, les photos me permettaient de saisir ce qui pouvait s’effacer très rapidement, c’était une façon de faire en sorte que la ville ne disparaisse jamais. Par la suite j’ai un peu abandonné la pratique photographique, que j’ai reprise sérieusement il y a seulement six ans.

S’agissant de ma place dans le paysage de la photographie contemporaine, je crois que ce n’est pas à moi de le dire, d’autres sont mieux qualifiés pour cela. Mais pour vous répondre, je pense que ce qui m’intéresse, c’est d’essayer de nourrir par la photographie une mémoire affective liée à des lieux spécifiques. Je cherche à réaliser des instantanés qui, réunis, dessinent une carte visuelle de mon rapport émotif à Beyrouth. J’aime aussi beaucoup rapprocher les villes méditerranéennes entre elles, on oublie combien elles étaient cosmopolites, combien les échanges y étaient importants. J’aime reconstituer le mélange culturel qui relie par exemple Marseille ou Athènes à Beyrouth ou Istanbul.

Vous venez de réaliser une série de photographies poétiques et nocturnes sur Beyrouth. Pourquoi la nuit ?

Beyrouth est une ville bondée le jour, particulièrement remuante, le trafic y très dense. En perpétuel renouvellement architectural, elle donne l’impression d’une métropole en cours de mue, qui respire difficilement. La nuit, Beyrouth se calme et soupire, libre, rendue à elle-même. La nuit la dévoile, on peut alors s’en rapprocher plus facilement pour la retrouver, plus intime, comme si elle nous revenait. Il devient plus facile de se balader, et la ville livre ses histoires plus aisément.

Beirut crossing lights
Beirut crossing lights
Blink lights out
Blink lights out
Graffiti poetry
Graffiti poetry

Quels sont les autre thèmes que vous abordez ?

Je m’intéresse particulièrement aux bâtiments abandonnés, aux traces du passé, au contraste entre la beauté sauvage délaissée et l’urbanisme qui l’est encore plus. J’ai le désir de photographier les dessous enfouis de la ville, en révélant l’importance du patrimoine face à l’uniformité qui gagne, du fait des promoteurs.

Minuit belle
Minuit belle
Pêcher la lune
Pêcher la lune
Pockets of resistance
Pockets of resistance
Sea drinking moonshadow
Sea drinking moonshadow
Skydancer
Skydancer

Pensez-vous qu’il y ait une spécificité de la photographie libanaise ?

La photographie libanaise s’est éloignée du thème de la guerre. Beyrouth est une ville ouverte sur la mer où la lumière est particulièrement belle, donnant au paysage un aspect un peu surréel. Au-delà de son intérêt esthétique évident, c’est une ville qui entretient un rapport compliqué avec son passé et le présent, en même temps très occupée par lui et nourrissant beaucoup de défiance à l’égard du temps qui passe. La nuit, la mémoire, le déracinement et la nostalgie, la fébrilité urbaine et le corps sont des thèmes qui prennent une dimension singulière à Beyrouth.

Sleeping woods
Sleeping woods
Urban rooflights
Urban rooflights
Vent et ombres chinoises
Vent et ombres chinoises
Louise Bacquet

A propos de l'auteur

Louise Bacquet, diplômée de SciencesPo-Paris, est violoniste et critique d'art.