VINCENT PETITET : UN ITINERAIRE INITIATIQUE

VINCENT PETITET : UN ITINERAIRE INITIATIQUE

TEXTE DE LEO VITRY

Sonné par l’annonce de son licenciement brutal, Antoine Majastre remarque dans la rue un mystérieux éphèbe au visage caché, en proie à une métamorphose aussi soudaine qu’irréelle. Puis l’apparition s’emballe : le son d’une flûte se fait entendre, des oiseaux s’envolent et se mettent à chanter, des herbes folles surgissent, une fontaine fait surface et toute une faune sylvestre s’anime. L’Apollon, désormais nu et coiffé d’une couronne de laurier, s’approche et se transforme en dieu Pan. Les sens du lecteur s’éveillent au jour de cet enchantement. 

La genèse du récit de Vincent Petitet commence pourtant loin de cette clairière enchantée. L’auteur enracine sa fable moderne dans l’univers impitoyable de l’entreprise et retrouve la plume cynique et acérée qui avait caractérisé Les Nettoyeurs, son premier roman. Dans ce nouveau livre, Les Morts ne sont plus seuls, Antoine Majastre, personnage principal et archétype du mâle dominant, va connaître une chute brutale. Et ce ne sont pas son parcours d’élite, son salaire mirobolant et son mépris de classe qui le retiendront dans sa chute. 

On suivait, dans le précédent roman de l’écrivain, le parcours d’Antoine de Linote, grand amateur de Richard Wagner. Les mélomanes apprécieront dans ce nouvel opus le parcours initiatique de cet autre Antoine qui s’apparente à celui imaginé pour Siegfried par le maître de Bayreuth. En compagnie de Jean-Noël, le grand frère décédé, et des animaux de la forêt, commence en effet une quête et une initiation effrénées. Il sera question de limon, d’une coupe, de la compréhension du monde, de présences divines et surtout d’un oiseau extraordinaire – une espèce rare de phénix persan.  

Sous l’angle de la psychanalyse, Nicolas Rabain écrit, à propos du troisième des quatre opéras du Ring, que « l’Oiseau […] vient protéger Siegfried en lui révélant tout ce qu’il ne peut voir et qui lui est toutefois impératif de savoir ». Vincent Petitet nous guide vers une révélation comparable en questionnant l’invisible qui nous entoure. Cette quête commence par un important travail sur les sens – la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût – qui, à mesure de la lecture, viennent se brouiller et déstabiliser les repères établis. Ce parcours initiatique est amplifié par un réalisme magique singulier, trésor offert par l’imaginaire à la littérature et stimulé avec une intensité jubilatoire par l’auteur. Que ce soit par la lecture, la musique ou la danse, seul l’art est capable de provoquer une ivresse aussi puissante.

Le chant du cygne d’Antoine Majastre – qui est ici une danse, justement – scelle l’envoûtement du lecteur. « Voulez-vous savoir pourquoi je danse ? s’écriait Antoine en riant. Pour m’affranchir de la pesanteur du limon. Mes pieds sont mes ailes, ils me relient aux morts, à la terre qui les enveloppe. Et en même temps les serres d’or me rendent léger, elles subsument en irradiant l’énergie de la danse, la danse de l’invisible sur la terre visible. Pourquoi je danse ? Pour célébrer l’humus du monde. Suivez-moi ! » : ainsi nous invite le personnage.  

L’univers surnaturel et profondément spirituel créé par Vincent Petitet est particulièrement remarquable. De nombreuses questions se bousculent encore dans l’esprit du lecteur une fois la tâche d’Antoine achevée. Comment trouver l’Oiseau ? Comment comprendre son chant ? Si nous ne dévoilerons pas le secret de l’auteur pour découvrir la danse et la vie éternelles, qu’il nous soit permis de délivrer le sens du chant de l’Oiseau à Siegfried : « Joyeux dans la peine, je chante d’amour ; de douleur, je forme mon chant ravissant : seuls ceux qui désirent en connaissent le sens ».