À DAKAR, PICASSO LE MAGICIEN

À DAKAR, PICASSO LE MAGICIEN

Les expositions consacrées à Picasso ne sont pas rares, c’est le moins qu’on puisse dire. Et il n’est pas rare non plus qu’on y souligne le rôle majeur joué par la fréquentation précoce des masques et autres objets africains dans la construction d’une esthétique résolument moderne. Ce constat, entré dans la vulgate, retrouve toute sa force lorsque la comparaison entre les oeuvres est rendue possible en Afrique même, dans l’un des grands musées du continent, le Musée des Civilisations noires de Dakar, où vient d’être inaugurée l’ambitieuse rétrospective « Picasso à Dakar, 1972-2022 ». 

En pensant l’exposition, Guillaume de Sardes, co-commissaire de l’événement, a toutefois voulu lui donner une portée à la fois plus précise et plus étendue. Avec ses homologues sénégalais, il a souhaité relire la manifestation fondatrice que fut la première présentation d’oeuvres de Picasso en terre africaine, à l’initiative de Léopold Sédar Senghor, il y a juste cinquante ans. Le poète de la négritude y célébrait en termes inspirés la « structuration totalisante » par laquelle le geste de Picasso pouvait rejoindre celui des créateurs traditionnels d’Afrique : un jugement qui à la fois demande à être contextualisé et peut éclairer sous un angle nouveau une oeuvre très et parfois trop connue.

Il y a en effet, Guillaume de Sardes en est persuadé, une dynamique partagée entre la production presque compulsive de toiles et d’objets par Picasso et la volonté d’agir rituellement sur le monde qui préside à la confection des artefacts d’Afrique de l’Ouest. Se situant dans la lignée des grands analystes que furent Griaule ou Leiris, l’historien d’art montre comment ce que Picasso affronte, dans l’atelier, relève d’un monde « de terreurs et de désirs » animé de scansions proches des grands récits cosmologiques, à commencer par l’interpénétration récurrente de l’humain et de l’animal. Autrement dit, le combat avec les formes et la matière peut se comprendre, par bien des côtés, comme un acte magique. Belle hypothèse, que l’on vérifiera à loisir en parcourant la brillante scénographie dakaroise.

« Picasso à Dakar, 1972-2022 », Musée des Civilisations noires, Dakar, jusqu’au 30 juin 2022.

Alain Rauwel

A propos de l'auteur

Alain Rauwel, agrégé et docteur en histoire, enseigne l’histoire à l’université de Dijon. Ses travaux portent sur le régime de Chrétienté, ses institutions, ses rites, ses discours, sa culture visuelle, entre Moyen Âge et Temps modernes.