L’ART FRANÇAIS FACE AU MONDE

L’ART FRANÇAIS FACE AU MONDE
TEXTE GUILLAUME DE SARDES

Les artistes français de la première moitié du XXe siècle caracolent depuis longtemps en tête des résultats des salles de vente. En 2011, la Lecture de Picasso, un tableau de petite taille, se vendait 36,2 M$ chez Sotheby’s, soit la septième meilleure enchère mondiale de l’année, tandis que chez Christie’s, La Terrasse à Vernon, doublait son estimation à 10,3 M$. Il n’en va pas de même dans le domaine de l’art contemporain, où les Français peinent à émerger face aux Anglo-saxons, Chinois ou même Allemands, que ce soit sur le premier marché (les galeries) ou le second (les salles de vente). Comment l’expliquer ? 

PIERRE ET GILLES

Pierre et Gilles

Selon Jérôme de Noirmont, un des grands galeristes français, celui de Pierre & Gilles et de Valérie Belin, il y a plusieurs raisons à cela : « L’art va de pair avec l’économie et la puissance. Titien, Véronèse, Tintoret dominent la peinture de leur temps, comme Venise domine l’Italie au XVIe siècle. L’art français connaît lui une apogée durant le long règne de Louis XIV. Avec la fin de la seconde guerre mondiale c’est l’hégémonie européenne qui finit au profit de l’Amérique et maintenant de la Chine. Le recul économique de l’Europe s’est accompagné d’un recule de son art. Chaque nationalité d’artistes est forte quand le pouvoir d’achat dans son pays est fort. En France, tous les clients des galeries ne sont pas de grandes fortunes. La plupart sont des personnes cultivées et assez aisées, celles qui constituent les classes moyennes supérieures, c’est-à-dire celles dont le pouvoir d’achat s’érode depuis trente ans. Au plan international, ce qui ne concerne qu’un nombre restreint d’artistes français soutenus par des galeries importantes, le principal problème est que ceux-ci ont été peu exposés entre 1970 et 2000. Ils sont donc longtemps restés méconnus. Heureusement, les choses ont changé : aujourd’hui les foires internationales permettent de présenter leurs œuvres aux États-Unis, en Chine, en Italie, etc., tandis que certaines galeries françaises ouvrent des succursales dans d’autres pays. »

Jérôme De Noirmont (c) Guillaume De Sardes

Le dynamisme de galeristes comme Emmanuel Perrotin, Kamel Mennour ou Philippe Jousse a ainsi beaucoup contribué à la réémergence des artistes de notre pays. Jérôme de Noirmont rappelle cependant le rôle clef joué par les manifestations au retentissement international : « la Fiac est aujourd’hui une des trois grandes foires d’art mondiales. Les expositions au centre Pompidou focalisent l’attention du public au-delà de nos frontières. Quant à la réouverture, après rénovation, du palais de Tokyo, lieu consacré à la nouvelle scène artistique, est une grande chance pour Paris.» L’art français échapperait-il à la crise ? « Nous sommes en cours de rattrapage, mais la décision d’abandonner Monumenta m’inquiète. C’est une grave erreur, car aucune des manifestations que je viens d’évoquer n’a une résonance aussi large pour les artistes. Monumenta, événement phare du monde de l’art, permettait tous les deux ans de faire connaître un artiste français au-delà de nos frontières, ce qui bénéficiait à l’ensemble du secteur. Je crains que cette décision politique non réfléchie ne provoque un effondrement du marché. » 

Philippe Jousse (c) Guillaume De Sardes

Philippe Jousse, galeriste pointu défendant Ludgi Beltrame ou Philippe Meste, partage l’analyse de son confrère. Il la complète cependant en rappelant que la force des artistes anglo-saxons s’explique aussi par la capacité des principales galeries anglaises et américaines à organiser des expositions qui font date : « C’est, par exemple, le cas dela galerie londonienne Saatchi qui, dans l’exposition « Sensation » a présenté en 1997 le travail de jeunes artistes appelés à devenir des figures artistiques majeures. Or tous ces artistes étaient anglais. En France, on aurait exposé des artistes de toutes les nationalités. Le constat est le même, dès lors qu’on se place du point de vue des collectionneurs : les Américains achètent du made in USA quand les Français font l’acquisition d’œuvres étrangères. C’est d’ailleurs autant une question d’ouverture d’esprit que de logique patrimoniale : on privilégie les artistes qui sont dans un vaste réseau. »

Quant à la force des artistes allemands ou chinois face aux Français, Philippe Jousse n’y voit pas seulement le reflet d’un décalage économique : « En Europe, les années 70-80 ont artistiquement été marquées par l’axe Cologne-New York. Il n’y a pas eu autant d’échanges transatlantiques avec Paris, ce qui explique que les artistes français de cette génération soient mal connus des Américains, donc peu recherchés. L’art contemporain chinois, comme celui des pays émergeants, attire l’attention car il est jeune et subversif. Dans les pays comme la Chine ou l’Iran, l’art est un enjeu esthétique mais aussi politique. » 

Robert Combas

La conjonction de ces phénomènes explique qu’on ne trouve, pour l’année 2011, que sept Français parmi le top 500 des artistes contemporains (nés avant 1945), les premiers étant Robert Combas (145e position) et Pierre & Gilles (167e position).Demain, quelle sera donc la place de l’art français dans le monde ? Jérôme de Noirmont et Philippe Jousse éprouvent la même inquiétude : que la crise qui frappe la France mette un terme à la reconquête commencée il y a dix ans.

Guillaume de Sardes

A propos de l'auteur

Guillaume de Sardes est écrivain, photographe et vidéaste. Il dirige la rédaction de Prussian Blue.