« SLEEPLESS » BY REGINA DEMINA

COURT-MÉTRAGE REGINA DEMINA
TEXTE RAPHAËLLE PIREYRE

 

Dans un hôtel désert, Rose, une jeune femme de chambre attend ses deux complices avant le grand départ. « On sait que c’est romantique uniquement dans les films. On se prend pas pour Bonnie and Clyde », Troppmann – nom emprunté au Bleu du ciel de Bataille – rassure les deux filles avant l’équipée à laquelle ils se préparent dans l’espoir de faire fortune.

Rose se masse une épaule endolorie, passe ses mains sur son visage, se met du gloss, renoue son chignon, allume une cigarette, passe l’aspirateur : l’insistance et l’accumulation des gestes donne l’impression qu’ils sont effectués pour la dernière fois tout en constituant une forme de collection. Aux gros plans sur les mouvements répondent les bruits qu’ils produisent, opérant comme des gros plans sonores : l’inspiration qui ouvre le film et évoque la prise d’une bouffée de cigarette autant qu’un soupir de plaisir, le bruit d’un briquet qui s’allume, s’impriment d’autant plus dans l’imaginaire du spectateur qu’ils restent invisibles. La langueur des mouvements, les temps de pause entre les dialogues, les plans intercalaires de décors vides créent une forme de respiration qui s’insinue entre les plans, donne l’impression que chaque instant est sursignifiant et suscite et crée un effet d’appel du hors-champ.

Concentré sur les trois corps en attente de translation, le récit examine leurs sensations, notamment à travers l’utilisation du flou et de l’anamorphose, et insiste sur ce qui les parcourt (la fumée de cigarette, l’héroïne, les mains qui cherchent à s’insinuer entre des genoux serrés, les langues qui se mélangent). Tout comme ils se caressent, enlacés sur le lit dans le plan séquence final, la caméra tourne, effleure en passant leurs mains, leurs visages, leurs pieds, tandis qu’ils égrènent la wishlist des objets qu’ils s’offriront une fois fortune faite.

« Une collection de ruban en soie, comme dans Les Malheurs de Sophie » c’est sur ce dernier item de la liste, référence à l’enfance que se clôt le film, après avoir évoqué « une paire de talons de luxe vernis, avec des talons hauts qui donnent l’air fragile, des Carel ». Ce trouble du décalage entre l’innocence et la transgression, tout comme l’effet de clignotement des plans de fleurs fanées révèlent que le temps de l’innocence est bel et bien perdu pour Bonnie, Clyde, and Co.

Raphaëlle Pireyre

DISTRIBUTION

Régina Demina (Mila)

C’est peut-être parce qu’elle est née à Kaliningrad mais venue très jeune en France que Régina Demina cultive un style si personnel, à mi chemin de la jeune fille fragile et de la vamp. Photographes et réalisateurs se la disputent, mais cette jeune femme résolue fait passer au premier plan son propre travail. Elle a déjà à son actif six courts-métrages, dont le triptyque Die Frau, auquel Bertrand Bonello a participé pour la musique et qui a été présenté dans plusieurs festivals en France et à l’étranger. Sleepless est son projet cinématographique le plus ambitieux à ce jour.

Barbara Opsomer (Rose)

Paris, le cinéma et la chanson sont trois miroirs dans lesquels, dès la sortie de l’adolescence, Barbara Opsomer a rêvé de se mirer. Il lui a fallu de la détermination pour résister aux inévitables désillusions d’un métier faussement aisé. L’école de théâtre des Ateliers de l’Ouest lui a montré comment apprivoiser son jeu et sa voix. Elle a pu alors, grâce à la rencontre d’un mélodiste, se lancer dans l’aventure d’un premier album (aux textes duquel a collaboré l’écrivain David Foenkinos), tout en faisant ses premières apparitions à l’écran.

Nicolas Ly (Troppmann)

S’il vient des arts plastiques, Nicolas Ly est un artiste complet. Musicien et auteur de chansons, il en est à son troisième album avec le groupe de rock alternatif Applause. Acteur, il a interprété plusieurs courts-métrages depuis 2006 et s’apprête à tenir le premier rôle du film à venir de Christophe Nanga-Oly. Son visage est connu de tous ceux qui ont croisé les campagnes pour lesquelles il a posé depuis 2002, pour Agnès B. ou Galliano.

Aurélie Mestre (une chanteuse)

Musicienne de formation classique, ayant étudié le violon au Conservatoire, Aurélie Mestre a choisi de marier cet horizon mélodique aux possibilités des technologies nouvelles. Elle cherche ainsi à construire un rêve sonore subtilement contemporain, qui a par exemple accompagné le Mefausti de Damien Odoul. Le même metteur en scène l’a fait apparaître à l’écran aux côtés de Mathieu Amalric et Charles Berling dans Le Reste du monde (2010). Dans Sleepless, elle interprète son propre rôle de musicienne.

 

Raphaëlle Pireyre

A propos de l'auteur

Raphaëlle Pireyre fait partie de la rédaction de la revue en ligne Critikat.com et collabore à Images de la Culture, Bref, L’Avant-scène cinéma.