ENTRE LES PAGES : ÉCRIVAINS ET GARÇONS AU BONHEUR DU JOUR
PAR FRANÇOIS CROISSY
Le plaisir, chez les gens de goût, se décline selon deux modalités : les plaisirs des sens et ceux de l’intelligence, dont une érudition papillonnante est la forme la plus délectable. La galerie de Nicole Canet est un des lieux de Paris où se célèbrent les noces de la sensualité et de l’érudition, par la quête inlassable et la présentation passionnée d’oeuvres rares qui méritent bien mieux que l’étiquette de curiosa. En ce printemps 2017, les amateurs sont gâtés : Nicole Canet publie, sous sa direction, un riche volume de 400 pages consacré aux Amours secrètes des écrivains, et elle accroche à ses cimaises les originaux de bon nombre des oeuvres reproduites dans l’ouvrage.
Robert-Hubert Payelle, Nuée de garçons dans l’arbre, 1937, épreuve argentique (copyright ABDJ).
Cinq auteurs sont étudiés avec autant de minutie que d’élégance. Proust et Loti sont les plus « classiques » mais on les retrouve avec un bonheur sans mélange, au fil d’une iconographie choisie et des textes d’un orfèvre en la matière, Patrick Dubuis. Renaud Icard sera pour beaucoup une découverte. Jean-Loup Salètes, son petit-fils, donne à connaître, par la publication de nombreux documents, une figure originale de la vie littéraire et artistique du XXe siècle dont l’amour des jeunes gens aura sans trêve été contrarié par la lourde bien-pensance de la bourgeoisie lyonnaise à laquelle il appartenait.
A. Aumaitre, Sportif au repos, 1957, peinture sur papier (copyright ABDJ).
L’abondant chapitre réservé à Roger Peyrefitte plaira à ceux qui regrettent le discrédit dans lequel l’évolution générale du goût et, chez l’auteur lui-même, une tendance tardive à la facilité racoleuse, ont laissé tomber les meilleurs morceaux d’une oeuvre solide. Sous la plume d’Alexandre de Villiers revit une figure d’un Paris gay qui semble, vu d’aujourd’hui, presque mérovingien. Revivent surtout, inaltérées, les images que collectionnait assidûment Peyrefitte. Les pâtres siciliens, qui sont de longue date une spécialité de Nicole Canet, ne faisaient pas défaut dans ses cartons, où l’on trouvait aussi de nombreuses photos d’Egermeier et des croquis célébrant les promiscuités sensuelles du collège, dont le romancier n’était en somme jamais sorti. Dans un coffret ad hoc, de précieux dessins antiquisants sur carton de Gaston Goor, que l’on ne manquera pas d’aller admirer rue Chabanais, glorifiaient la Muse garçonnière chère à Peyrefitte.
Gaston Goor, Musa paidike, vers 1950, pastel et craie (copyright ABDJ).
A priori, rien de plus éloigné des mondanités suaves que l’itinéraire de Jean Genet, évoqué par Jean-Marc Barféty. Y a-t-il si loin, néanmoins, des collégiens délurés aux mauvais garçons, marins, légionnaires… qui peuplent à la fois les proses de Genet (au pluriel, comme on parle de proses liturgiques) et les dessins de Caillaud, Smara ou Bollinger ? Sur le thème du « chant d’amour », Nicole Canet expose aussi deux de ses artistes fétiches : Hildebrand, obsédé génial, et Jean Boullet, immense dessinateur trop méconnu.
Jean Boullet, Les Bagnards, 1943, aquarelle (copyright ABDJ).
À quelques mètres de la vieille Bibliothèque nationale, la galerie « Au bonheur du jour » mériterait d’en devenir un département honoraire : on y cultive le même amour des textes et des images, la même rigueur dans leur conservation, la même passion dans leur communication (utinam !). Il ne faut ni en manquer les expositions, ni se priver d’en prolonger le charme sous la lampe en collectionnant, sinon les oeuvres elles-mêmes, au moins les parfaits albums d’art qui en assurent la mémoire, selon les félicitations que Foucault adressait à Dover, l’historien de l’amour grec : « une méticulosité infinie pour saisir la douceur d’un baiser vieux de deux millénaires ».
1 rue Chabanais, Paris IIe.