LE BALCON. ENTRETIEN AVEC MAXIME PASCAL

LE BALCON. ENTRETIEN AVEC MAXIME PASCAL
ENTRETIEN FLORENT PAPIN
PHOTOGRAPHIE GUILLAUME DE SARDES

Le Balcon est un ensemble musical fondé en 2008. Recourant à la sonorisation et conduisant un travail audacieux de scénographie, dans lequel la vidéo tient une grande place, Le Balcon monte des spectacles bouleversants de poésie, d’érudition, de maîtrise. A sa tête, Maxime Pascal, jeune chef d’orchestre formé au Conservatoire de Paris. A l’occasion de la représentation de « Pierrot Lunaire – Paroles et musique », d’après Schönberg, du 25 au 28 septembre à l’Athénée théâtre Louis-Jouvet, à Paris, Prussian Blue a tenu à en savoir plus sur la genèse et les directions empruntées par cette formation unique.

Commençons par le commencement : vous.

Si l’on se place du point de vue de l’histoire du Balcon, le commencement est plutôt « nous ». L’ensemble est né d’un faisceau de rencontres au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris. J’y étudiais la direction d’orchestre avec François-Xavier Roth et Nicolas Brochot. Cela m’a offert l’opportunité de rencontrer les compositeurs, les ingénieurs sur son, les musiciens avec lesquels nous avons créé Le Balcon en 2008 : Pedro Garcia-Velasquez, Juan-Pablo Carreño, Mathieu Costecalde, Florent Derex, Alphonse Cemin.

Autour de quelle intention vous êtes-vous retrouvés ?

Notre intention première était de former un orchestre sonorisé, de manière à pouvoir recréer les conditions d’écoute de la salle de concert, quel que soit le lieu de la représentation. L’enjeu aussi pour nous était de trouver un son englobant, qui immerge le spectateur. Je ne supportais plus, pendant mes années de conservatoire, la distance instaurée entre le jeu, la musique et le public. Je dirais donc que cette quête du son « total », médiatisé par la technologie, est première dans notre démarche. Wagner et Stockhausen sont à cet égard de solides points de repères, eux qui cherchaient chacun à leur manière à atteindre cette totalité. Au nom précisément du spectacle total, il arrivait à Stockhausen de sonoriser ses créations d’opéra, qui associaient parfois des milliers de musiciens.

Vous vous qualifiez d’orchestre : vos dispositifs scéniques n’évoquent pourtant pas la fosse d’un opéra.

Il est vrai que notre travail musical s’accompagne d’une vraie recherche scénique, dans laquelle la vidéo tient une place importante. Enfin, pas n’importe quelle vidéo : les créations de Neto, un vidéaste colombien aussi frapadingue que génial ! Pour autant, ne nous y trompons pas. Nous sommes bien un ensemble musical, constitué de solistes. Mais alors que les ensembles musicaux du 20ème siècle se sont construits sur l’idée de casser les hiérarchies acoustiques et les codes de la littérature musicale, Le Balcon présente la singularité de conserver ces codes de lecture. Pour moi, une œuvre de création sera en effet toujours mieux jouée par un orchestre symphonique, qui apporte plus d’intensité, de maîtrise, de sensibilité.

Si je comprends bien, vous intégrez les apports de la modernité pour mieux respecter les conventions ?…

Je présenterais les choses un peu différemment, ne serait-ce que parce que Le Balcon ne s’impose pas de cahier des charges artistiques. Je pense que notre démarche correspond à un temps de l’évolution musicale qui fait de nous la première génération à pouvoir vraiment tout jouer. Toutes les découvertes récentes sont des acquis. On peut aussi bien jouer Bach sur des instruments anciens que jouer de la techno. C’est d’ailleurs pour cette raison que notre orchestre se présente comme une formation à géométrie variable. Une trentaine d’instrumentistes travaillent régulièrement avec nous, mais la formation doit pouvoir s’adapter au projet, et non l’inverse. Notre liberté est absolue, et elle n’exige plus de rompre avec les normes en vigueur pour s’affirmer. Je pense que nos propositions artistiques n’en sont que plus sincères et cools. On peut oser des expérimentations sans excès de sérieux ou de gravité.

Ce fut le cas avec Pierrot Lunaire, de Schönberg, que vous avez monté pour le théâtre de l’Athénée ?

Dans la forme, il s’agit assurément d’un projet assez expérimental. Nous avons d’ailleurs eu envie de monter Pierrot Lunaire pour mettre en avant le travail de Nieto. Par son côté commedia dell’arte sanglante, nocturne, sexuelle, je trouvais que la pièce collait parfaitement à son univers. Le Pierrot Lunaire est composé de 21 chansons parlées : pour chacune d’entre elles, Nieto a eu carte blanche et a conçu un module vidéo. Après, sur le fond, le projet n’est pas expérimental, dans le sens où il essaie de revenir aux fondamentaux de l’œuvre, et en premier lieu l’usage du français. Ecrits par le poète belge Albert Giraud, les textes étaient originellement en français. La pièce avait d’ailleurs déjà été jouée une fois dans notre langue, en 1917. Mais il s’agissait alors d’une traduction de la traduction allemande des textes de Giraud : les phrases étaient à l’envers, à la limite de l’intelligibilité. Toute la difficulté, et tout le défi de notre version du Pierrot Lunaire, a été de cherché à respecter les consignes de Schönberg, qui avait orchestré la moindre inflexion de voix, tout en préservant l’intelligibilité du texte. Car c’est une histoire qui doit être racontée. Si on ne comprend pas ce qui est dit ni recherché, cela n’a aucun intérêt. De ce point de vue-là, nous ne sommes pas mécontents du résultat.

Florent Papin

A propos de l'auteur

Florent Papin est diplômé de l’École normale supérieure de Cachan et de Sciences Po. Il exerce une activité de conseil auprès de grandes institutions culturelles. Il est par ailleurs poète.

A propos du photographe

Guillaume de Sardes est écrivain, photographe et vidéaste. Il dirige la rédaction de Prussian Blue.