RENCONTRE AVEC EUGENIO GARCIA

RENCONTRE AVEC EUGENIO GARCIA
ENTRETIEN ALAIN RAUWEL
PHOTOGRAPHIE SEBASTIEN MALLEA

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L’exposition universelle de Milan 2015 a pour thème « Nourrir la planète » : un défi d’actualité, incontestablement, et un grand enjeu éthique – mais aussi une perspective moins facile que d’autres à explorer par les voies de l’art et de la création. Aussi chacun des pays participants a-t-il déployé des trésors d’inventivité pour rendre son pavillon aussi original et séduisant qu’informatif et rigoureux. Pourquoi faire une halte particulière au pavillon du Chili ? C’est que son directeur artistique, Eugenio Garcia, n’est pas un acteur comme les autres dans le jeu des grandes rencontres internationales. En 1988, il a été l’inventeur de la campagne qui a conduit à la victoire du « non » lors du referendum organisé par Pinochet et sa junte, devenant une grande figure du renouveau chilien, dont l’histoire a été popularisée en 2012 par le film No de Pablo Larrain. Depuis, il a représenté le Chili dans plusieurs rendez-vous internationaux de création. Nous l’avons interrogé sur son expérience milanaise.

Vous avez une longue habitude des grandes expositions internationales. Comment votre participation à Milan 2015 se distingue-t-elle des précédentes ?

Chaque exposition est différente et se décline en fonction du pays qui l’accueille, de la thématique à affronter et du contexte culturel. Cela dit, à chaque fois ces grands rendez-vous internationaux représentent un défi pour l’inventivité et la ténacité émotionnelle des créateurs et des directeurs artistiques impliqués. Puisque tout pavillon est une œuvre unique, qui ne connait pas de précédents, sa création est ponctuée d’imprévus, de détails auxquels nous n’avions pas pensé, voire d’erreurs. De plus, les visiteurs se comportent à chaque fois de façon imprévisible face à la proposition qui leur est offerte. Il s’agit cette année de ma troisième Exposition. J’ai déjà été responsable de la direction artistique du pavillon du Chili à Séville en 1992 et à Shanghai en 2010 ; cette fois, j’ai donc pu affronter avec plus de tranquillité les imprévus, en sachant que finalement tout problème a une solution.

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L’expérience de la cuisine et du repas est par essence éphémère. Comment avez-vous imaginé de lui donner une dimension pérenne à travers le pavillon ?

Tout pavillon est éphémère ; les expositions universelles elles-mêmes le sont. Ce qui est permanent est l’impression que nous sommes capables de produire dans le cœur et l’esprit du visiteur. L’histoire que nous proposons, ainsi que la manière d’exprimer et de décliner ce récit en une expérience, est la clé pour laisser une impression durable auprès du public. Le Chili a l’avantage, ce qui est parfois aussi un désavantage, d’être un pays généralement encore peu connu. Cet état de fait nous oblige à être très exigeants envers nous-mêmes et à pousser notre proposition jusqu’à l’extrême. D’autre part, nous bénéficions d’un atout de taille : personne ne s’attend à de grandes choses de notre part, par conséquent nous serons toujours à même de surprendre ! Dans notre pavillon, l’architecture, l’itinéraire que nous avons conçu, l’expérience gastronomique, les produits du magasin, les tenues et l’attitude de nos amphitryons, les activités artistiques proposées correspondent tous à la même histoire et à la même expérience. Il s’agit d’une seule narration, d’un hymne unique qui commence quand le visiteur rentre dans le pavillon jusqu’au moment où il en sort.

Dans un tel projet, comment se situe l’intervention du directeur artistique par rapport à celles de l’architecte ou des artistes plasticiens ?

Dans ce cas précis, nous avons, depuis le premier comité créatif, travaillé en collaboration avec l’architecte et le producteur audiovisuel. Ensemble, nous avons conçu la proposition qui a été ensuite présentée pour le concours public que nous avons finalement gagné. Généralement, après cette première étape, le directeur artistique jette concrètement les bases de l’histoire qu’il veut raconter par le pavillon, il convoque les différents spécialistes et attribue à chacun une responsabilité précise. De même, il est chargé de faire en sorte que tout soit en ligne avec la proposition centrale préalablement formulée, de l’affiche publicitaire jusqu’à la formation des amphitryons et les déclarations à la presse. Pour ce pavillon nous avons travaillé coude à coude avec les architectes jusqu’au montage final et même aujourd’hui nous continuons à corriger des détails relatifs au fonctionnement et à être impliqués dans les diverses activités culturelles et les événements organisés. Notre responsabilité ne que s’achèvera le 31 octobre, avec la fin de l’Expo.

Pour vous, l’impératif de promouvoir un pays, constitutif de la commande, est-il un frein ou un stimulant pour la créativité ?

Il s’agit d’un stimulant, sans aucun doute, puisque cet impératif oblige à articuler un discours correspondant à la réalité du pays et, en même temps, à cristalliser une utopie que nous devrions pouvoir atteindre. Or, les nations représentent des réalités complexes, impossibles à résumer en un pavillon. Ce qui, en revanche, peut être condensé dans un espace restreint et le temps limité d’une visite est la fibre émotionnelle du pays, sa façon de faire les choses, d’interagir avec le monde et ses idéaux. Notre pavillon pour l’Exposition universelle de Milan, par exemple, est conçu sous la lumière de la poésie et du bois, deux « matières » à travers lesquelles le Chili a quelque chose d’unique à dire au reste du monde.

Alain Rauwel

A propos de l'auteur

Alain Rauwel, agrégé et docteur en histoire, enseigne l’histoire à l’université de Dijon. Ses travaux portent sur le régime de Chrétienté, ses institutions, ses rites, ses discours, sa culture visuelle, entre Moyen Âge et Temps modernes.