RENAUD ALLIRAND, MULTIPLE D’ARTISTE
ENTRETIEN FLORENT PAPIN
Renaud Allirand est peintre. Quand il obtient en 2010 la bourse annuelle de gravure de l’Académie des Beaux-Arts, le dessinateur se dit qu’il doit beaucoup à la photographie : il y a sacrifié ses vingt ans. Deux décennies plus tard, à 42 ans, Renaud Allirand – mais est-ce bien de lui dont il s’agit ? – s’étonne parfois de ce qu’il trouve, mais se dit que ça vaut tout de même le coup de chercher. La reconnaissance de son travail en France, aux Etats-Unis, en Allemagne, en Belgique, en Corée, en Chine… l’y incite d’ailleurs. Et puis, si jamais il devait s’égarer, les centaines de gravures qu’il a déposées au Département des Estampes et de la Photographie de la Bibliothèque nationale le ramèneront à la postérité.
Prussian Blue : Peintre, graveur, photographe, dessinateur, illustrateur : il n’est pas simple de vous situer…
Renaud Allirand : Vous oubliez créateur de tapis, ma dernière fantaisie ! Je me suis rapproché d’artisans népalais pour concevoir de grandes pièces en laine tissée reprenant le motif de plusieurs de mes gravures et encres. J’aime d’ailleurs présenter ces pièces comme des multiples tissés. Un seul tapis nécessite le travail de trois personnes durant trois mois. D’où leur nombre limité – cinq exemplaires -, et leur prix, aux alentours de 4000 euros. En toute partialité, je trouve le résultat magnifique. Mais il est vrai que cette multiplication d’expériences, de recherches, n’aide pas à me situer artistiquement. Moi-même, je m’y perds parfois. Je dirais que je suis officiellement peintre et graveur, puisque je cotise en cette double qualité à La Maison des Artistes.
Pourquoi ce besoin d’explorer tant de voies créatives, tant de langages ? Un seul n’y suffirait pas ?
Je cherche et essaie de trouver l’outil qui me permet d’exprimer le plus justement et authentiquement possible un désir, une émotion, un sentiment, aussi fugace soit-il. En cela, tous les medium ne sont pas interchangeables, ne sont pas des véhicules indifférenciés. Chaque technique doit être un révélateur propre et original de ce qui me touche, me trouble. Il me faut même parfois remettre en jeu mon identité pour être au plus près de cette vérité intime. Il m’a ainsi fallu prendre un second nom – non un pseudonyme, j’y tiens -, celui de Dip, pour mes activités de dessinateur : il m’était en effet insupportable de mélanger mon travail de peintre et de graveur avec le monde de Dip. Je parle de lui comme d’une autre personne mais en fait, ce deuxième nom me sert pour exprimer d’autres choses, encore plus intimes, des sujets plus difficiles aussi.
Vous avez débuté votre vie d’artiste par la peinture, mais c’est la gravure qui a assis votre réputation : y voyez-vous un malentendu ?
En réalité, c’est par la photographie que j’ai mis un pied dans l’univers de la création, au début des années 1990. J’avais alors vingt ans : le numérique n’existait pas encore ! Mais, entouré d’amies photographes très connues comme Irina Ionesco, j’éprouvais des difficultés à trouver ma place. J’ai changé de voie et rapidement commencé la peinture, sans abandonner la photo. Puis, au bout de dix ans de peinture et d’expositions, j’ai eu la chance de rencontrer des personnes qui m’ont incité à acheter une plaque de cuivre. Ma première pointe sèche fut un tel bonheur ! Un moment magique. Et le monde très fermé et intimiste de la gravure s’est petit à petit ouvert à moi. J’ai commencé à montrer mon travail et à concourir ici et là. A ma grande surprise, j’ai gagné pas mal de prix, mentions ou distinctions, en France comme à l’étranger. Donc, oui, la gravure a éclairé mon chemin. C’est d’ailleurs comme graveur que l’on me connaît un peu, par ce biais que je suis le mieux représenté dans les galeries et les musées. J’en suis très heureux et cela m’aide par ricochet à faire connaître mon travail de peintre, mes photographies et dessins. La gravure a été et reste un grand moyen d’expression, noble et fascinant, aux variations infinies. Elle ouvre à des horizons spécifiques, assez rudes en ce qui me concerne.
Parlons affaires : quelle place occupe aujourd’hui la gravure dans le marché de l’art ? Quels sont ses acteurs ? Qui sont vos acheteurs ?
Les collectionneurs de gravure forment malheureusement un cénacle restreint, assez élitiste, qui recoupe grosso modo le cercle des collectionneurs de livres d’art. La gravure se vend mal, les ateliers ferment les uns après les autres. Quasiment aucune galerie ne vend exclusivement de la gravure contemporaine. On le constate dans les salons : il faut quelques Rembrandt, Dürer ou Picasso pour payer son stand… La gravure contemporaine est pourtant très riche et très variée, les jeunes artistes se comptent par dizaines, débordant de désir et d’énergie. Mais la discipline souffre d’un déficit de notoriété et d’intelligibilité : les procédés ne sont pas d’abord aisé – travailler à l’envers, la presse… -, la multiplicité des techniques n’aide à pas s’y retrouver – eau-forte, burin, manière noire… -, le principe du multiple ne favorise pas la valorisation des œuvres, l’usage fréquent du noir et blanc peut en rebuter beaucoup, etc… Les arts de la gravure pâtissent aussi d’une image un peu désuète. Il est enfin tentant d’y voir un mode de reproduction, alors qu’il s’agit évidemment d’un travail éminemment artistique. Un travail long et laborieux, qui fouille souvent des thèmes obsessionnels. Si des grands noms de la peinture, tel Pierre Soulages, vendent assez facilement leurs gravures, rares sont les artistes connus et valorisés pour leur seul travail de graveur, à l’instar d’érik Desmazières. Espérons que le décollage marchand du dessin contemporain entrainera la gravure dans son sillage.