CHÉREAU DE RETOUR EN AVIGNON
TEXTE ALAIN RAUWEL
La prestigieuse Collection Lambert rouvre ses portes en Avignon, dans le cadre idéal de l’hôtel de Caumont tout baigné de lumière. Pour marquer cet événement et en lien avec le Festival, un quart de siècle après le légendaire Hamlet de la Cour d’honneur, est présentée depuis juillet une abondante et délectable exposition consacrée à Patrice Chéreau – un véritable rêve d’exposition, qui dépasse comme en se jouant la fausse dialectique entre documentation et évocation.
La documentation pure, empruntée au fonds Chéreau de l’IMEC, est très présente, à plat dans de grandes vitrines : brochures de scène, croquis, lettres, coupures de presse… Quand il s’agit d’une personnalité comme Chéreau, rien n’est indifférent. L’incroyable précision avec laquelle il pense ses mises en scène dès le groupe théâtral de Louis-le-Grand est fascinante. On a un peu oublié le retentissement presque immédiat de son travail. Il n’a que trente-deux ans lorsqu’il impose à Bayreuth un Ring après lequel Wagner ne sera plus jamais le même : Foucault comme Barthes le lui écrivent, en des billets qu’il est profondément émouvant de découvrir. Richard Peduzzi est déjà là, dont les projets et maquettes ponctuent les salles. Le cinéma entre aussi dans la vie de Chéreau, qui funambulise sur cette frontière entre l’ample et l’intime qui est son domaine propre. Il faudra avoir le cœur bien dur pour ne pas frissonner en déchiffrant les échanges avec Hervé Guibert à l’occasion de L’homme blessé, ou en écoutant la voix de Maria Casarès racontant le scandale des Paravents. La fin de l’exposition tourne autour de La Reine Margot (1994), pour lequel l’inspiration picturale de Chéreau est à son sommet : « tout le film est sorti du Radeau de la Méduse », dit-il.
De fait, Géricault est aux cimaises de l’hôtel de Caumont, comme bien d’autres maîtres anciens qui furent pour le dramaturge source d’inspiration. La Mort du jeune Bara est venu en voisin du Musée Calvet. Mais c’est aussi avec les plus grands contemporains, appartenant à la Collection Lambert ou prêtés pour l’occasion, que dialoguent les puissantes images créées par Chéreau : Nan Goldin (qu’il convient de citer en premier car elle est l’un des artistes les mieux représentés dans la Collection), Yan Pei Ming, Andres Serrano, Anselm Kiefer, Cy Twombly, Marina Abramovic, Miguel Barcelo… Au terme de l’itinéraire, le La Tour de Rennes, un magnifique Richter et une photo de Nan Goldin, improbable triptyque accompagné de la voix d’Adjani lisant Chéreau, dressent une bouleversante stèle.
D’un bout à l’autre du parcours, textes, œuvres peintes, photographies, enregistrements se répondent en une scénographie que l’on ne pouvait rêver ni plus sensible ni plus intelligente. S’en dégage le beau portrait d’un homme plein de rigueur et d’ardeur, de l’un de nos derniers grands romantiques, qu’Alain Badiou appelait l’« Éternel Voyou ». Peut-être aura-t-il fallu attendre cette exposition avignonnaise pour mesurer pleinement ce que nous avons perdu en le perdant.