DE « HOME TOWN » À « ATLAS », APERÇU SUR L’ITINÉRAIRE D’ANTOINE D’AGATA
TEXTE GUILLAUME DE SARDES
C’est à Marseille, ville matricielle, où il est né en 1961, qu’Antoine D’Agata a repris la photographie après quatre années d’interruption. C’était la fin des années 90. Certains clichés réalisés à ce moment-là ont été réunis dans un livre, Home Town. Les photographies sont en noir et blanc. Elles parlent d’errance, de sexe et de drogue – de franchissement des lignes. La ligne de la bonne conduite et des usages tracée par la société, mais surtout celle séparant ordinairement le photographe de son sujet. Antoine D’Agata dit « avoir cherché à vivre avec ceux que jusque-là la photographie s’était contentée de voir. »
Quinze ans plus tard, en 2014, il réalise Atlas, un film de 76 min, consacré à des prostituées du monde entier, figures post-modernes de Piéta hésitant entre l’extase et la souffrance. Là encore des limites sont franchies : celles propres au médium photographique. Les cadres sont fixes, mais la vidéo permet d’enregistrer le mouvement et surtout les voix. Des voix dans toutes les langues, qui donnent à Atlas une dimension universelle, des témoignages d’une déchirante beauté.
Rapprocher ces deux travaux distants de plus de quinze ans permet de souligner en creux l’itinéraire artistique d’Antoine D’Agata : « Dans ma jeunesse, j’ai passé un nombre incalculable de nuits dans les rues ; et les rues ont fini par moins m’intéresser. Je suis allé dans les bars et dans les chambres ; l’espace s’est peu à peu resserré. Puis je me suis concentré sur les corps. Et, de l’acte sexuel, je suis passé à ces quelques secondes au cours desquelles le visage se tend. Avec Atlas, j’ai cherché à passer à autre chose sans me trahir. La découverte de la fonction vidéo de mon appareil photo m’y a aidé en m’ouvrant des espaces nouveaux. » De la photographie de rue, donc, à la vidéo d’art. Mais si les moyens plastiques et les intentions ont pu changer, l’œuvre d’Antoine D’Agata au fil des années repose sans cesse la même question : celle du rapport impur entre document et intimité.