JONGMYUNG HWANG : MEMENTO MORI
Lorsqu’une personne de rencontre nous regarde droit dans les yeux, longtemps, il est rare que nous ne finissions pas par détourner le regard, pour échapper à la tension de l’échange muet. C’est de ce même regard sans indulgence, les yeux parfois écarquillés, que nous fixent depuis leurs cimaises les visages de JongMyung Hwang. L’artiste coréen, jeune quadragénaire, est un authentique maître du portrait, fort de la tradition de virtuosité technique acquise dans les écoles d’art de son pays. Mais la précision du rendu glisse presque toujours, sous son pinceau, vers autre chose : un hyper-réalisme aux couleurs franches, pop, qui n’inspire toutefois pas l’allégresse. L’inquiétude est toujours tapie au coin du tableau.
L’illusion est trop parfaite, la carnation trop rose (Hwang a intitulé une de ses toiles Pinkman). Les traits, on le sent bien, ne sont qu’une enveloppe, et c’est la puissante architecture humaine, la structure du squelette, que révèle l’artiste, à l’exemple de son impressionnant Double ego en rose et gris. Une profonde connivence le lie sur ce point à Yan Pei-Ming, avec qui il a travaillé à l’École des Beaux-Arts de Dijon.
Ne serait-ce pas le secret de ces yeux qui ne cillent pas : ils sont déjà les orbites vides d’un crâne. Dans son dialogue permanent avec le grand héritage de l’art européen, Hwang a rencontré le motif de la vanité et s’en est emparé avec jubilation. Ornés de fleurs comme sur de petits autels macabres, ses crânes ont l’impitoyable netteté d’un memento mori ou la fausse jovialité d’un décor de cotillons. Ils sont le vestige narquois d’homo festivus quand la musique s’est tue.
Leur contemplation est plus roborative que mélancolique. On ne peut s’empêcher de penser, face à eux, aux incroyables fêtes des morts de l’Amérique centrale que Peter Greenaway a brillamment utilisées dans son Eisenstein in Guanajuato. Il est aisé alors de comprendre pourquoi, de Paris à Séoul et de Séoul à New-York, l’oeuvre de JongMyung Hwang rencontre le succès. Impitoyable et joyeux, l’artiste est un sage, un destructeur de cette comédie sociale dont nous aspirons secrètement à nous évader.