LE CORPS ACCORT DE NICOLAS LY
ENTRETIEN FLORENT PAPIN
L’analogie saute aux yeux. À la verticale d’un miroir circulaire recouvert d’un mince film d’eau, un beau jeune homme mire son reflet. Sur le côté, une bougie baigne la scène d’un puissant clair-obscur. Il y a du Caravage dans la performance que livre Nicolas Ly ce soir de mai 2015 à la galerie parisienne PapelArt. Il y a plus exactement du Narcisse, tel que l’a représenté le Maître – ou un imitateur – dans un tableau visible aujourd’hui au Palais Barberini, à Rome. Echo n’est pas bien loin non plus, faufilée peut-être dans le chant par lequel Nicolas Ly fait onduler son image, sur l’air de « Sea of Love » de Phil Phillips, les lèvres à distance de s’embrasser. L’image, la voix, le corps et ses métamorphoses, le temps : autant de questions premières qui occupent Nicolas Ly, et auxquelles son travail protéiforme d’artiste, de chanteur, d’acteur et de mannequin apporte des réponses enthousiasmantes.
A première vue, vos activités sont disparates. Pourtant, en y regardant de plus près, on constate que le corps occupe une place centrale dans chacune d’elles.
Il pourrait difficilement en être autrement, tant le corps constitue à mes yeux le médium absolu. C’est vrai dans mon rapport à la mode, au cinéma ou à la musique. Mais il serait peut- être plus juste de parler de mon intérêt pour la physicalité, qui mêle à la fois des enjeux de forme, de matière et de processus. Qu’est-ce qui fait qu’à un moment donné, je deviens présent à moi-même ou aux autres ? Et de quoi est constituée cette présence, comment se déploie-t-elle, comment évolue-t-elle ? Par dynamique propre, par hybridation, par métamorphose ? C’est par la voix que me sont venues ces questions.
Qu’entendez-vous par là ?
Au temps des Beaux-Arts, où j’ai suivi l’atelier de Giuseppe Penone, j’éprouvais beaucoup de difficultés à me mettre en avant. D’une certaine manière, j’étais empêtré de moi même. Cela a manqué de brider mon travail artistique. J’aurais par exemple aimé donner une suite plus ambitieuse à mon projet de fin d’études, une installation conçue autour d’une vidéo me montrant criant au-dessus d’un bassin naturel pour faire naître des ondes en surface – le projet, intitulé « Champs », s’est avéré une préfiguration de « See of love », ma performance de mai 2015, fruit d’une collaboration avec l’artiste japonais Atusonibu Kohira. Cela aurait pu déboucher sur une performance plus large, avec du public, mais j’étais trop intimidé pour ça. La parenthèse de dix ans ouverte avec Applause, mon groupe de rock, a tout changé. En studio mais surtout en concert, il m’a soudain fallu assumer une exposition, une frontalité. Et en tant que chanteur, la voix m’a fait entrer physiquement en contact avec l’autre.
Est-ce à dire que vous êtes un chanteur physique ?
Je le crois, oui, mais pas au sens de chanteur bodybuildé transpirant la testostérone. On m’a d’ailleurs souvent dit que je dégageais une ambigüité sur scène, avec une part de féminité marquée. Un trait assez répandu chez les chanteurs rock, d’ailleurs : voyez David Bowie, Genesis P-Orridge… Outre cette ambigüité, qui crée assurément de la présence, ma physicalité est d’abord musicale. Elle passe par le chant et son articulation à une musique où les basses et les battements guident la mélodie. C’était vrai d’Applause, mais ça l’est encore plus de mon nouveau projet, AL7EN. J’y serai particulièrement exposé, jouant seul sur scène ou simplement accompagné de mon guitariste et co-arrangeur Damien Keyser. Envolées cosmiques aidant, il n’est pas impossible que cette nudité extrême suscite chez moi – et peut-être chez les spectateurs – une impression de désincarnation. Déjà, lorsque je chante, je me sens dans une forme d’hypnose. Mon corps tend à épouser ma voix. S’y réduira-t-il ?…
Cette perspective d’effacement du corps peut sembler paradoxale quand on sait que vous êtes aussi acteur et mannequin.
Pour moi, il ne s’agit pas d’effacement. Je parlerais plutôt d’épure. Ce qui, soit dit en passant, reste la meilleure façon de faire exister une physicalité. C’est la raison pour laquelle, dans le domaine de la mode, j’aime beaucoup des marques comme Zadig&Voltaire ou Karl Lagerfeld. Le cinéma aussi satisfait mon goût de l’économie, du dépouillement élégant : je songe notamment à Rêve bébé rêve de Christophe Nanga-Oly, à Sleepless de Regina Demina, à Red Dolman d’Ãnanda Safo… Mais pour servir la physicalité, l’épure telle que je l’entends et l’apprécie ne peut pas être une fixité, elle doit demeurer un principe vivant. Elle est indissociable à mes yeux d’une dynamique d’hybridation, de transformation. N’est-ce pas quand le corps se rend insaisissable qu’il acquiert une intensité pure et un rayonnement fantastique ? Sans doute la lecture éblouie d’Ovide ou de William Blake n’est-elle pas étrangère à cette conviction.