LES « ANGES » OUBLIÉS DE PATRICK MAURIES
TEXTE ALAIN RAUWEL
À propos de l’essai « Dans la baie des anges », de Patrick Mauriès, Paris, Gallimard, 2012, 11,90 euros.
Patrick Mauriès, lorsqu’il s’intéresse à un artiste d’autrefois, a le goût des testaments, des inventaires après décès. Le kaléidoscope d’une vie qu’ils dessinent à coup de menus legs, de volumes dépareillés, de babioles éparses, nourrit la curiosité de l’amateur, qui applique à sa propre vie la même méthode rigoureuse et rêveuse à la fois. Tout commence par une ville – une ville singulière, morceau d’Italie égaré au bout de la France, Nice. Nice des Trente glorieuses en ses quartiers neufs, où grandit le jeune Mauriès, mais aussi, dans le Vieux Nice, cette Chapelle de la Miséricorde dont les amateurs constituent une fraternité secrète et où advient la révélation du baroque. Dans la discussion infinie qui oppose les amoureux de Bernin aux passionnés de Borromini, Mauriès, sans exclusive, est du côté du second. Aux draperies qui bouillonnent sur le sein opulent des allégories, il préfère le jeu de savant fou des courbes blanches et grises. Le marbre l’émeut moins que le stuc, poudre fragile que le souffle du temps a vite fait d’éparpiller comme le glaçage d’un gâteau, manifeste d’un « baroque pauvre ». Qui, d’ailleurs, connaît le stucateur sicilien Giacomo Serpotta, ici ressuscité ? Qui songerait à faire l’éloge du staff dont la bourgeoisie triomphante décorait ses villas ? Patrick Mauriès a le goût des minores, des oubliés. En littérature, cette passion aussi vertigineuse et incertaine qu’un montage de stucs, il laisse de côté les grandeurs d’établissement et surprend son lecteur par une apologie de George du Maurier et de son Trilby. C’est là assurément, et en toutes choses, ce qu’un essayiste a appelé une morale du minoritaire. Plutôt que de la revendiquer sur les boulevards, Mauriès la cultive au secret de sa bibliothèque. Nous lui savons gré d’en entr’ouvrir pour nous la porte, qui est aussi celle du rêve.