RENCONTRE AVEC FADI MANSOUR

RENCONTRE AVEC FADI MANSOUR

ENTRETIEN LOUISE BACQUET

Fadi Mansour est architecte, diplômé de l’Architectural Association School of Architecture de Londres en 2009, et de l’Université McGill à Montréal en 2006. Tout au long de sa carrière, il a travaillé sur un large éventail de projets, allant de la conception urbaine des espaces publics, la construction de sièges sociaux, de centres culturels et artistiques, de bâtiments résidentiels, à des projets de gestion de l’espace intérieur et la création de meubles. Il a travaillé avec de grands d’architectes comme Zaha Hadid ou Bernard Khoury. Il a enseigné dans des programmes d’ architecture et de design urbain, a été un conférencier invité, et critique dans différentes écoles d’architecture. Fadi s’intéresse particulièrement au pouvoir social et politique de l’architecture, à la façon dont elle construit la ville contemporaine, et à son apport dans l’évolution de la vie sous l’ère de la technologie et du capitalisme.

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D’où viennent vos aspirations architecturales ? Comment êtes-vous devenu architecte ?

J’ai toujours été intéressé par l’art, à tel point que j’ai d’abord voulu être peintre. Mais le milieu social dans lequel j’ai été élevé, les attentes de mon entourage n’étaient pas compatibles avec des études aux Beaux-arts. L’art n’était pas considéré comme pouvant conduire à un métier. Alors j’ai choisi l’architecture, car c’est ce qui me semblait le plus proche de l’art. Et j’ai aimé ! Beaucoup aimé, même. Le mouvement architectural dans lequel je cherche à m’inscrire est tout à fait parallèle au mouvement conceptuel de l’art contemporain. De cette façon, je colle aux valeurs et à l’esthétique de l’art d’aujourd’hui.

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Vous avez travaillé avec l’architecte déconstructiviste Zaha Hadid et avec le Libanais Bernard  Khoury. Quelle expérience cela a-t-il été ?

L’agence de Zaha Hadid a été mon premier boulot. C’est une personne fascinante. Je m’éloigne de son approche architecturale formelle et esthétique, mais je trouve qu’elle est admirable. Elle est allée à l’encontre de toutes les normes artistiques et commerciales, elle s’est obstinée pour que l’on accorde une place à sa vision particulière de l’architecture. Son courage artistique et son engagement sont incroyables. C’est un peu la même chose pour Bernard Khoury, qui enrichit considérablement la scène architecturale libanaise contemporaine. 

Comment définiriez-vous le design ? Quelle est votre approche personnelle ?

Je trouve qu’il est important de se fonder sur un propos à la fois solide et contemporain. La forme et l’esthétique ne doivent pas être prioritaires, en ce sens que l’esthétique ne doit pas être la base du concept, mais plutôt un gain. Je préfère penser que c’est l’idée qui est prioritaire, parce qu’elle est supérieure à la forme. En tout cas, dans mon travail, c’est l’idée qui compte le plus. Je tente d’appliquer ce principe dans chaque domaine auquel je me consacre. Je fais aussi de l’urbanisme et, dans le cadre de mon dernier projet, c’est une idée que j’ai vendue, un concept. Dalieh est un territoire de Beyrouth, un front de mer à préserver, qui, selon moi, doit rester la propriété de tous, c’est-à-dire un espace public. Or ceux qui l’ont racheté veulent en faire la base d’une construction commerciale, qui serait inadaptée au lieu et dénaturerait le front de mer. Un concours a été lancé contre ce projet commercial, pour que des architectes présentent leur vision, leur projet pour Dalieh. J’ai participé au concours avec des collègues, et nous avons gagné. Nous avons proposé une stratégie : préserver les écosystèmes aquatique et terrestre tout en amplifiant leurs effets sensoriels désirables, garantir le caractère public du lieu en faisant de lui un point de raccordement entre différents passages publics et touristiques très empruntés à Beyrouth (« La Corniche »). C’est une intervention intemporelle, fluide et uniquement fondée sur la formulation d’une idée paysagiste évolutive.

Y a-t-il un projet qui vous tienne particulièrement à coeur en ce moment ?

Je participe au projet « Reframing the city, a monument of radical neutrality » à Beyrouth. C’est un projet qui émane d’une lecture assez conceptuelle de la ville. Beyrouth est comme un patchwork, c’est une ville composée de plusieurs enclaves ou entités territoriales occupées par différents groupes sociaux et religieux, tout en étant démunie d’espaces publics et d’espaces verts. La zone qui se situe au niveau de l’ancienne ligne de démarcation est délaissée, elle est devenue un véritable terrain vague. Elle a subi une évolution différente des autres zones après la guerre. Tous les quartiers se sont développés selon leur modèle propre, mais cette zone-ci a été abandonnée, justement parce qu’elle n’appartenait à personne. L’idée est donc de recréer toute l’architecture sur ce tracé afin de parvenir à une régénération de la zone autour de l’idée de réconciliation. Je propose de créer un campus universitaire : une série de bâtiments en forme de cônes inversés, insérés dans des espaces de promenade publique, des infrastructures pour piétons, des espaces institutionnels et académiques, tous interconnectés à un niveau plus élevé, pour accueillir là l’« Université libanaise ». Cela contribuerait à la réappropriation du site par une population jeune et riche en cultures, diverse, vivante (1). Créer un quartier pour une institution académique, dans ce contexte particulier, c’est aussi permettre a différentes structures, associations, start-ups, ONG, de venir s’implanter sur le campus, c’est donc rendre vie à un terrain oublié de la ville et en faire la plate-forme d’une réconciliation entre groupes et individus attachés à la diversité. Cela me tient particulièrement à cœur, car c’est aussi une façon de participer à l’histoire de la ville.

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Vous avez créé aussi un « fauteuil pour faire l’amour » : Upside/Down ! Parlez-nous de ce projet.

Cet objet faisait partie d’une exposition de design intitulée « Naked behind the social mask » organisée en décembre 2014 à la « House of Today ». L’idée était de créer un fauteuil à deux dimensions : une configuration fonctionnelle et standardisée, conforme aux attentes du marché, avec une certaine ergonomie et un choix de matériaux faciles, en quelque sorte un produit commercial ; la seconde configuration était plus particulière : il fallait inviter l’utilisateur à appréhender le meuble d’une façon originale et personnelle. D’où mon idée de créer un fauteuil dont la structure soit propice aux ébats amoureux. J’ai pensé aux différentes positions sexuelles pendant la réalisation des maquettes. Au-delà de l’aspect sexuel, c’est aussi une réflexion sur la société libanaise, qui est bipolaire, entre ses airs bourgeois, conservateurs et pudibonds et ce qu’elle est réellement, dans les coulisses. Le rapport au corps est important dans mon processus créateur, j’aime créer des meubles qui entrent en dialogue avec le corps humain.

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Louise Bacquet

A propos de l'auteur

Louise Bacquet, diplômée de SciencesPo-Paris, est violoniste et critique d'art.