ROCHAS ET GIVENCHY : UNE VENTE ET UNE EXPOSITION
TEXTE ALAIN RAUWEL
Le 27 septembre, Christie’s disperse le mobilier de l’appartement parisien d’Hélène Rochas. L’illustre parfumeuse avait réuni dans les pièces et sur les murs d’un intérieur au luxe cossu une collection résolument éclectique, rapprochant solides meubles néoclassiques et productions du second XXe siècle. En peinture, Hélène Rochas préférait toutefois le figuratif, et les prévisions de la maison de vente donnent des lumières intéressantes sur les équilibres actuels en cette matière.
Ainsi, c’est un monumental Balthus, très orientalisant, qui domine le catalogue comme il dominait le salon de la rue Barbet-de-Jouy : la Japonaise à la table rouge, pour laquelle posa l’épouse du peintre, Setsuko, est annoncée entre trois et cinq millions d’euros, marquant le prestige inentamé du grand portraitiste. Andy Warhol, à qui Hélène Rochas avait commandé son portrait lorsqu’elle vivait à New York dans les années 1970, est prévu « seulement » à quelques centaines de milliers d’euros. Et l’on soufflerait volontiers à l’acheteur potentiel de préférer la belle encre et mine de plomb sur papier de Fabio Rieti (lot 68), qui devrait commencer sa carrière à 300 euros… Parmi les pièces de mobilier, la plus séduisante est incontestablement la table basse à piètement en forme de cordages de Diego Giacometti, d’une admirable puissance. Mais la surprise réside dans le goût d’Hélène Rochas pour un certain type de luminaires où la coupe est portée par des serpents orfévrés : le catalogue propose sur ce modèle un lampadaire et une lampe de Brandt et Daum, et une torchère aux deux serpents d’Edouard-Marcel Sandoz (1931), tous remarquables.
L’actualité artistique met en avant un autre grand nom de la mode française, Hubert de Givenchy. À la demande de Christie’s, il a conçu pour la Biennale des Antiquaires, à partir de pièces de sa collection, une exposition des plus originales, puisque le projet n’est autre que de reconstituer la galerie de Girardon, le sculpteur de Louis XIV. L’artiste était un collectionneur acharné, si fier de ses trouvailles qu’il en avait fait graver en 1708 une série de planches devenue fameuse. Givenchy, animé lui aussi par la passion des bronzes d’après l’antique, s’est inspiré des gravures pour inventer une mise en scène élégante et solennelle à la fois. Comme la vente Rochas, son exposition est une manière d’hommage à un certain goût français, désormais parvenu à son automne. Les antiques ou copies d’antiques que chinait feu Roger Peyrefitte avaient beaucoup à voir avec ceux du couturier, et il n’est pas invraisemblable qu’il ait dîné à la table de Madame Rochas. On l’imagine assez bien commenter, avec une politesse toujours un peu acide, les événements organisés aujourd’hui par Christie’s pour saluer la mémoire d’un art de vivre à l’imparfait du subjonctif.