EVA NIOLLET, L’AMOUR NUMÉRIQUE
TEXTE GUILLAUME DE SARDES
PHOTO GEORGE FOSTER
Eva Niollet appartient à une génération d’artistes pour qui le rapport au monde est, en partie, médiatisé par les réseaux sociaux. Entre amants, les messages ne sont plus des billets écrits d’une plume fiévreuse et glissés sous une porte, ce sont des sms, crus ou tendres, affichés à toute heure sur le disque intime externe qu’est devenu le smartphone. Et les images ne se collent plus patiemment dans des albums, elles se rangent toutes seules au vu de l’univers, trois par trois comme à la parade, sur l’écran d’Instagram, tandis que les plus explicites sont envoyées via Telegram ou Snapchat.
De ces bribes parfois vitales, Eva Niollet a entrepris une collection, sous le titre énigmatique « Is That A Running Gag Called I Call You Tomorow Darling ». Elle archive les mots d’amour, de désir, d’incompréhension… échangés avec ses partenaires et les met en scène sur fond de papiers colorés découpés. La fiche de bureau quadrillée, souvent utilisée, renvoie ironiquement à l’entreprise folle de constituer une mémoire ordonnée du flux verbal et humoral. Par-dessus, de petits morceaux de carton évoquent, selon les cas, des fleurs ou des oiseaux, toutes les figures canoniques du discours amoureux.
Lorsqu’on regarde l’ensemble des images au format réduit d’un écran, on croit parfois voir des cartes – figures de territoires étranges, mal localisés, où les grandes plages de couleur font l’effet de no man’s lands. C’est en effet sur Instagram que, depuis l’automne 2016, Eva Niollet publie, jour après jour, ses conversation pieces d’un nouveau genre. Elle écarte d’un revers de main l’objection d’une exhibition de l’intime : ce n’est pas ainsi qu’elle considère les fragments de chats érotiques livrés au public. À ses yeux, il s’agit d’éléments documentaires qui, au-delà de ses aventures personnelles, disent quelque chose de l’époque et des rapports post-humains. Une « matière à penser ».