FRANÇOIS GÉRY, L’AVOCAT DES WILDENSTEIN
ENTRETIEN ZOÉ ZÉRI
PORTRAIT GUILLAUME DE SARDES
La famille Wildenstein occupe depuis le XIXe siècle une place éminente dans le marché de l’art. Les réserves de la galerie qu’elle possède à New York abondées au fil des générations, suscitent bien des fantasmes. Aussi le procès qui lui a été intenté pour fraude fiscale a-t-il éveillé la curiosité du milieu de l’art, jusqu’à ce que le verdict soit prononcé : la relaxe. Me Jean-Pierre Martel, Me Eric Dezeuze, Me Hervé Temime et Me François Géry ont été les artisans de la défense de la famille. Des quatre grands pénalistes des affaires, les trois premiers sont déjà fameux. Me Géry, le quatrième et de loin le plus jeune, a accepté de nous rencontrer. Passé par Saint-Cyr et le Ministère de la Défense, il est devenu avocat chez Gide à vingt-neuf ans, avant de fonder en 2010 son propre cabinet : Bochamp. Il lève pour Prussian Blue un coin du rideau sur les rapports mal connus entre l’art et le droit.
Quelle est la place de l’art dans votre activité ?
Sans être première, elle est relativement importante, notamment parce que le milieu des affaires est étroitement lié à celui de l’art. D’abord, l’art est désormais un marché, au sens plein du terme, avec les problèmes afférents. Cela fait des années que le montant annuel des ventes au niveau mondial sur le second marché, c’est-à-dire en salle de vente, dépasse les 10 milliards d’euros. Et ce chiffre déjà considérable ne tient pas compte de toutes les ventes faites par les marchands, les galeries, les collectionneurs et les artistes eux-mêmes ! Ensuite, de plus en plus de chefs d’entreprise sont collectionneurs ou philanthropes. Il n’est pas rare que, les ayant défendus dans un cadre contentieux plus classique, ils reviennent vers moi avec des dossiers liés à l’art.
Pourriez-vous nous donner des exemples de ce qu’on vous demande ?
Le milieu de l’art étant discret, beaucoup n’imaginent pas la sophistication de son organisation, ni les questions juridiques qu’elle soulève. Je suis ainsi amené à m’occuper de successions d’artistes, du montage de fondations, de querelles entre les ayants droit. Le champ est vaste ! La dation en paiement par exemple permet aux héritiers d’un artiste de s’acquitter des droits de succession en cédant des œuvres à l’État. Il s’agit d’un système qui a été utilisé lors des successions de Matisse, Picasso, Cézanne ou Chagall. Il est très intéressant, car il permet aux musées français d’enrichir leur collection, ce qu’ils n’ont plus les moyens de faire grâce à leurs ressources propres. Il est regrettable que cet usage se raréfie, l’État étant de plus en plus réticent à recourir à ce moyen, préférant de l’argent à des œuvres. Car pour recueillir cet argent, les héritiers vendent les tableaux, les dessins, les sculptures, etc., qui disparaissent dans les collections privées, au lieu de profiter à tous.
Votre clientèle est-elle essentiellement française ?
Non. La moitié seulement de mes clients sont français. Les autres viennent notamment de Chine, du Moyen-Orient ou d’Afrique francophone. Je constate chez mes clients chinois une fierté nationale assez étrangère à la mentalité française. Ils s’intéressent beaucoup à leur art national, qu’il soit classique ou contemporain. Ils rachètent sur le second marché des œuvres anciennes détenues par des collectionneurs européens. En Chine, ils ouvrent des musées privés, dont certains sont aux standards internationaux. Long Museum ou Yuz Museum, par exemple, disposent de leurs propres collections, tout comme les espaces de François Pinault à Venise et bientôt en plein cœur de Paris. Je ne suis pas pour une forme de « nationalisme artistique », mais l’art d’un pays ne peut être fort et rayonner que quand il est soutenu par ses collectionneurs. J’ai le sentiment qu’en France les collectionneurs regardent surtout vers l’étranger. Au détriment des artistes français, notamment des jeunes.
À titre personnel, vous intéressez-vous à l’art ? Si oui, à quel type en particulier ?
Oui, même si je me considère comme un simple amateur. Je m’intéresse notamment aux Arts premiers et aux voitures anciennes Cela peut paraître surprenant, mais la carrosserie française entre les années 1920 et 1940 me paraît relever de l’art. Elle a été d’une incroyable créativité. Les carrossiers comme Delage ou Delahaye réalisaient pour leurs clients des voitures sur mesure, comme les grands couturiers des costumes ! Nous étions loin de la standardisation contemporaine.