LA BIENNALE INTERNATIONALE DE DESIGN DE SAINT-ETIENNE – 9E EDITION

LA BIENNALE INTERNATIONALE DE DESIGN DE SAINT-ETIENNE – 9E EDITION
TEXTE ET PHOTOGRAPHIE GUILLAUME DE SARDES

Depuis sa création en 1998 par Martine Fontanilles, alors adjointe à la culture à la mairie de Saint-Etienne, et Jacques Bonnaval, alors directeur de l’école des beaux-arts de la ville, la biennale du design n’a cessé de se renouveler, dans ses ambitions, ses thèmes et son identité visuelle. Cette 9e édition est ambitieuse, puisqu’elle pose la question du « sens du beau ». On aurait pu craindre des réponses convenues autour des seules notions d’utilité et d’efficacité. Si cette ligne a été tenue par certains commissaires d’exposition, d’autres sont allés plus loin, ou plutôt ailleurs, empruntant des chemins de traverse.
À la cité du design, le commissaire coréen Kyung Ran Choi présente une sélection d’objets de son pays qui se caractérisent par leur raffinement et leur délicatesse. Ils sont en céramique, en papier ou en bois, mais aussi faits de matériaux moins traditionnels comme la fibre de carbone. Ainsi le fauteuil « Luno » de Il Hoon-Roh, qui s’inspire de la légèreté de structures naturelles rigides, squelettes d’oiseaux ou branches d’arbre. Sans doute fallait-il contrebalancer tant de bon goût pour éviter l’écueil de la monotonie.

Le fauteuil C’est ce qu’ont réussi Bart Hess et Alexandra Jaffré en réunissant sous le titre « Vous avez dit bizarre ? » une série d’objets grotesques. Termes d’histoire de l’art qu’ils reprennent à leur compte pour l’élargir à toutes les créations dont la vue suscite « un mélange d’attirance et de répulsion ». La lecture politique qu’ils donnent de ces objets apparaît parfois un peu forcée, manquant l’essentiel : l’humour qui préside à la création de certains d’entre eux, d’une part ; la relativité du jugement que l’on peut porter sur eux, d’autre part.
Il n’en demeure pas moins que « Vous avez dit bizarre ? » est une réussite, ne serait-ce que par l’originalité de la sélection, du corset « Re.Treat #1 » d’Una Burke au « My Knitted Boyfriend » de l’artiste hollandaise Noortje de Keijzer, un petit ami imaginaire fabriqué en tricot et capable d’offrir câlins et tendresse – belle méditation sur la solitude.

Vue de l'exposition

Le corset Re.Treat d'Una-Burke
Una-Burke, Re Treat
Noortje de Keijzer
Noortje de Keijzer, My Knitted Boyfriend

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La question de la relativité du goût n’a en revanche pas échappé à Rodolphe Dogniaux et Marc Monjou, les concepteurs de l’exposition « Tu nais, tuning, tu meurs » au Musée d’Art et d’Industrie de la Ville de Saint-Etienne. Poser la question du « sens du beau » c’était accepter de ne pas lui en trouver qu’un. L’exposition montre ainsi, s’il en était besoin, que ce « sens » (cette intuition) n’est pas identique chez tous les hommes, et qu’il peut même partir dans des sens (des directions) opposés. En traitant du tuning, qui est l’art de personnaliser son véhicule, les deux commissaires français se sont emparé d’un objet d’étude sur lequel aucune institution culturelle et artistique ne s’était encore penchée. À travers le tuning, pratique sauvage relevant de la sous-culture, ils mettent en crise le design en tant que discipline policée, bordée, normée et inféodée aux marchés. Car non seulement les adeptes du tuning développent une esthétique propre, mais ils le font eux en pure perte : comme le note le sociologue Éric Darras dans son excellent article « Pimp my car ? » (Azimuts #42), « le véhicule tuné constitue un capital que son propriétaire dévalorise à grand frais ». Trop particulier, trop unique, trop cher, il devient invendable. On peut donc bien juger les transformations qui lui sont appliquées kitsch, inutiles, vaines, vulgaires et misérables, elles n’en sont pas moins sous-tendues par une éthique de seigneurs.

Simon Davidson, Bob, 2012
Simon Davidson, Bob, 2012

 

Guillaume de Sardes

A propos de l'auteur

Guillaume de Sardes est écrivain, photographe et vidéaste. Il dirige la rédaction de Prussian Blue.