LA CHINE EN MOUVEMENT D’EMMANUEL LENAIN
PAR GUILLAUME DE SARDES
Le sentiment d’assister à une mutation d’importance historique laisse rarement un bon esprit oisif. Certain prennent des notes, rédigent des souvenirs. D’autres pensent plutôt par images. Tel est Emmanuel Lenain. À deux reprises, comme conseiller à l’ambassade de Pékin puis comme consul général à Shanghai, il a passé plusieurs années en Chine, au moment même où l’Empire du milieu se lançait à corps perdu dans une modernisation urbaine et économique aussi rapide que violente. Leica en main, le diplomate a saisi des instantanés de cette Chine lancée vers l’inconnu. Leur qualité leur a valu d’entrer dans la collection de la MEP. Le noir et blanc fait beaucoup pour la séduction des ces photographies, les extrayant du reportage pour leur donner une épaisseur de nostalgie. Parfois, on se demande si l’on est il y a cinquante ans, pendant les années de la Grande Révolution, ou au seuil du XXIe siècle. Mais, si Mao se dresse toujours au centre des places, Emmanuel Lenain montre derrière lui une Chine qui bétonne et boit de la bière, flirte avec le rêve capitaliste jusqu’à l’enfer de la répétition. La frénésie constructive vire à l’occasion au délire, lorsque de pseudo-châteaux s’élèvent en quelques semaines au milieu de nulle part, pour des milliardaires qui se prennent pour Louis II et ne sont, au mieux, que Walt Disney. Du haut d’une colline miraculeusement préservée, quelques vieux regardent la rotation frénétique des grues. Détruire, disent-ils… Que verra, dans quelques décennies, ce tout petit enfant porté sur les épaules par son aïeul ridé comme une pomme et qui, lui aussi, en a beaucoup vu ? Le mystère demeure ; le photographe et le diplomate ont en commun de garder une certaine réserve face à l’immensité des questions.